Intense débat entre les acteurs des médias panafricains dans le cadre de la 1ère édition des Global Mind Talks  organisée ce jeudi 4 juin par le cabinet de conseil Global Mind Consulting. A travers deux sessions orientées sur l’état des lieux objectif des médias en Afrique ainsi que les pistes de solutions pour contribuer à leur nécessaire renforcement.

D’entrée de jeu, Constant Nemalé, fondateur de  la chaîne de télévision Africa 24, pose les termes du débat en appelant à sortir des frontières linguistiques. “Nous sommes leader en Afrique francophone.  Nous avons développé aussi Africa 24 en anglais et en arabe car c’était une nécessité”, rappelle le promoteur des médias qui invite  ses confrères à investir pleinement les cinq univers linguistiques  internationaux du continent et les 3 000 champs linguistiques de l’Afrique traditionnelle. 

Mais, d’abord, quelle est la légitimité de traiter du continent depuis Paris ou Londres?   Pour Marie-France Reveillard de La Tribune Afrique, faire du journalisme pour l’Afrique à partir de Paris a des avantages car tous les “decisions makers” y transitent.  “Cela étant, ce n’est pas suffisant  pour couvrir l’actualité du continent.  Il faut faire du terrain”, estime celle qui passe au moins deux semaines par mois dans les voyages à travers l’Afrique.  Et la reporter de rappeler cette réalité banalisée: “en étant identifié journaliste local, on a plus de mal à faire des contacts, on est relégué au second plan. J’ai vu qu’il y avait un traitement différencié”. 

Seynabou Dia relance  Zyad Limam d’Afrique Magazine qui rappelle alors le paradoxe africain, “un continent jeune et d’éternelles promesses”. Combien parmi les 400 millions d’africains francophones ont une carte bancaire et son capables d’acheter un abonnement à la télévision par satellite” ?  Et de fustiger des modèles économiques des médias souvent archaïques reposant sur des revenus publicitaires aléatoires et devant faire avec l’aléa politique.

En opposition au monde Anglophone tiré par la locomotive nigériane et au monde arabophone “drivé” par l’Egypte et ses 100 millions d’habitants, le monde francophone ne dispose pas d’un grand pôle capable de tracter l’ensemble.  La réalité du marché publicitaire africaine repose sur de petits annonceurs de Dakar à Yaoundé, des problèmes communs, des canaux qui fonctionnent permettant aux médias de juste exister. “Mais il faudra, insiste Zyad Limam, aller plus en avant et scruter des opportunités sur de grands ensembles” et adopter les nouvelles technologies.  “Les lecteurs du futur ont le nez collé sur leur smartphone ou téléphone pour consommer de la télé et news à la demande”, poursuit Zyad Limam appellant à des arrangements et alliances entre médias africains.  

Un avis de mise en réseau et de nécessaire synergie partagé par Mactar Silla, patron de la chaîne Label TV,  40 ans d’expérience dans les médias africains et internationaux au compteur.  “Dans la plupart de nos pays, les médias ne font pas partie des priorités.  Le secteur évolue dans un environnement dérégulé en compétition avec l’informel formalisé”.  Et de s’étonner du fait que la plupart des détenteurs de licences télés soient des religieux, des politiques, en tout cas des hommes étrangers au secteur.  Il faut un cahier de charges pour un contenu de qualité, martèle l’ancien directeur de TV5 Afrique et de la Radio Télévision Sénégalaise.

Pour sa part, Adama Wade, Directeur de publication de Financial Afrik estime que le défi des médias africains est de permettre à l’Afrique de faire entendre son point de vue sur le monde et sur l’Afrique.   “L’image de l’Afrique est façonnée de l’extérieur. Il y a forcément un préjugé extérieur difficile à corriger”.  Selon le journaliste,  la position géographique n’est plus pertinente puisqu’on est projeté dans deux grandes plateformes virtuelles, Google et Facebook, qui amassent à elles deux plus de 92% du marché publicitaire mondial.  Pour en revenir au continent, Adama Wade souligne qu’il n’y a pas un marché publicitaire régulé, ni dans le monde arabe, ni dans le francophone, encore moins dans l’anglophone.  Il y a un phénomène majeur qui se déroule sous nos yeux, poursuit le journaliste: “les lecteurs s’informent par les réseaux sociaux sur téléphone mobile”. D’après Bloomberg, ce segment est en hausse de 30% par an. 

Cette importance des réseaux sociaux est soulignée encore par Seynabou Dia, CEO de Global Mind, initiatrice du talk.  “168 millions d’africains sont inscrits sur Facebook, 31 millions sur instagram et 24 millions sur Linkedin.  Quelle est donc la stratégie des médias africains pour saisir ces nouvelles opportunités offertes par le digital, se demande la patronne de Global Mind en interpellant Constant Nemalé.  “Toute stratégie repose sur la pérennisation du média”, rétorque celui qui fut aussi fondateur de Telesud sur le modèle de Youtube bien avant que la plateforme américaine de partage des vidéos ne voit vraiment le jour. “La première des choses pour un média c’est de fournir du contenu premium”. 

Revenant sur son modèle économique, Constant Nemalé dit avoir fini par développer sa propre régie pour aller chercher ses clients.  Une manière de dire que les  médias ne doivent pas laisser la relation stratégique avec l’annonceur gérée par un tiers ?  Revenant sur les synergies, Constant Nemalé déclare que les alliances entre médias africains sont nécessaires et représentent un défi à venir.

Des synergies nécessaires

Quant au marché africain, il est encore prisonnier d’une mentalité persistante, poursuit le patron d’Africa 24:  “l’Afrique des pouvoirs publics et privés dépense en moyenne 30 millions d’euros par an pour leur promotion à l’étranger. Seuls 5% de cette manne revient aux médias africains”.    Pour Mactar Silla, il y a là un complexe congénital, un  masochisme de la part des pouvoirs publics et du secteur privé africain  qui tendent le fouet pour se faire battre.  Revenant sur la question essentielle des alliances, le patron de Label TV approuve leur nécessité entre des médias africains confrontés à des défis communs.  

Pour Zyad Limam, les entreprises de médias ont besoin aussi, au delà des défis de la conjoncture, de se structurer sur le plan financier et managérial et de transformer les lecteurs en consommateurs payants.   Marie Reveillard n’en pense pas moins: “les médias doivent être suffisamment capitalisés pour fournir du contenu de qualité. 

En définitive, la question du modèle économique résilient revêt toute son importance dans l’espace médiatique africain.  “Il y a deux choses qu’il faut distinguer à ce niveau, estime  Adama Wade: “Il y a la production de l’information selon les règles et les canons de la profession, qui ne change jamais.  Il y a ensuite la relation –lecteur ou relation-client comme l’appelle les marketeurs en réinvention permanente. Toutes les innovations à lesquelles l’on assiste avec les réseaux sociaux et la téléphonie mobile se déroulent à ce niveau  de la relation entre le média et le lecteur.   “Il faut s’adapter au marché et savoir que c’est lui qui le régule par l’évolution des habitudes de consommation”

Nécessité pour l’Afrique de raconter sa propre histoire

Dans le deuxième panel consacré au même sujet, Alain Foka, journaliste et producteur de la célèbre émission Archives d’afrique sur RFI,  déclare que le défi repose sur le contenu. “Nous devons avoir notre narratif, raconter notre propre histoire”.  Et le chroniqueur camerounais de se désoler de la manie  “des dirigeants du continent de faire les annonces importantes dans les médias de l’extérieur”.  Ces dirigeants ne se demandent pas que s’ils avaient consacré un peu de moyens à leurs médias, ils auront des produits de qualité.  Et d’appeler les journalistes à s’investir pour répondre aux attentes du public africain qui veut se voir tel qu’il est.   “Fabriquons des produits pour séduire les africains”, répète Alain Foka, prenant exemple de la vague des nouvelles séries télé au Sénégal ou encore de l’industrie culturelle au Nigeria. 

Prenant la parole, Alioune Gueye, fondateur du groupe l’Afrique Qui Ose et promoteur d’Africa Business Journal, a estimé qu’il faut à un certain moment avoir “un champion africain avec des rédactions  ici et là de manière à faire entendre la voix du continent”.  Pour le promoteur sénégalais basé à Casablanca, il est important que les décideurs publics et privés comprennent l’importance stratégique des médias.  “Aujourd’hui, il y a un problème de souveraineté de l’information qui se pose en Afrique”, déplore M. Gueye.

Autre intervenant ayant insisté sur le contenu de qualité, Malick Diawara de Point Afrique, estimant qu’il faut s’adresser aux africains dans ce qui les intéresse, en appelant à la création des chaînes de valeur autour de l’information vue comme matière première.  “Est ce que nos médias prennent en compte les dimensions linguistiques africaines ?   Ne sommes-nous pas seulement tournés vers le monde urbain ? “.  

Pour sa part, Marie Roger Biloa, CEO de Africa International Media Group, rappelle que certaines chaînes se sont dès le départ engouffrées sur le news politique avec toutes les limites induites. “Il y a une espèce de plafond de verre en ce qui concerne les ressources publicitaires en Afrique”, poursuit la serial entrepreneur de médias. “On ne peut pas renvoyer la presse à la rentabilité immédiate”, explique Marie Roger Biloa rappelant la  mission publique de la presse. De la même manière que la France avait estimé que son cinéma devait exister aux côtés du rouleau compresseur américain, il est tout à fait plausible de réfléchir  aux mécanismes rendant possible l’existence de grands médias africains.

A la fin de la journée, la question qui se dégage de ce grand tour d’horizon est la même: il faut  le bon modèle économique.  Alioune Gueye évoque une nécessaire “affirmative action” pour le secteur africain des médias, une sorte de “local content” qui donnerait corps au Made In Africa.  Quelque soit le modèle économique, il ne faut pas comme l’a déclaré joliment Malick Diawara, que l’éthique soit la variable d’ajustement. 

L’agence panafricaine Global Mind Talks signe ainsi le point de départ d’une nouvelle dynamique pour les médias africains en créant une plateforme de collaboration et de mutualisation des médias afin de faire émerger des champions africains des médias, seule voie pour s’approprier le narratif africain et faire entendre la voix du Continent.

Source : Financial Afrik